J'ai longuement hésité entre demander à mon skipper de m'inscrire au Vendée Globe et choisir moi même ma route...

Bon, je n'ai pas eu le choix de l'équipage; le skipper est mon maître, je suis son esclave... Pas d'autre solution, il m'a acheté et arraché à mes racines baltiques pour me poser au pied du grand delta du Rhône. Il était acompagné par une belle dame, je ne peux lui en vouloir, c'est de son âge...

Comme je n'avais pas le loisir de choisir mon équipage, j'ai privilégié le réalisme: pas de Vendée Globe, juste quelques minutes vers l'EST dans la 1ère quinzaine d'Août.

Je ne suis parti de rien ou presque: juste un point GPS. J'ai donc laissé mon étrave se diriger vers le golf de Fos, ses usines, ses porte containers, ses minéraliers, ces petits péchoux du dimanche...

1/2 nautique plus tard, j'enfonce ma quille dans la vase du chenal! Je modifie mon langage à propos des péchous: il y en a un qui me sort de là...

Passé ce moment qui laissait augurer une navigation digne des 40èmes, même par temps calme, je quittais le golfe de Fos, voile à 2 ris, un caleçon à l'avant pour remonter ce SUD qui s'établissait.

Je vire le Cap Couronne et là, ma vue se dégage sur des îles lointaines dans la brûme atmosphérique ou la pollution, je ne sais.

Le FRIOUL: un bon dodo au mouillage, histoire de laisser à mes compagnons de route le temps d'apprendre à mouiller mon ancre. Tout s'est bien passé: ils ont compris qu'il fallait que je reste sur l'eau salée, que c'était dans ma nature, que la vase et les rochers étaient réservés aux crevettes et autres mouettes!

Le lendemain matin, le vent forcit; il vire à l'EST, histoire de faire découvrir à mes deux pieds nickelés ce que c'est que de remonter sur 20 nautiques ce vent et cette mer du vent... Au départ, ils s'acharnent à diriger mon étrave plein SUD, vers l'îlot du Planier, histoire d'avoir une allure, une gîte digne de ce nom, histoire peut être pour mon skipper adoré de donner un avant goût d'aventure au large à la belle dame, qu'elle pâme aux pieds du grand marin endurci au regard salé...

Deux heures et quelques secousses plus tard, comme si les dieux de la mer l'avaient entendu, je sens que je vire vers l'EST, que mon étrave méandre entre les iles MAIRE et autres cailloux qui précèdent les calanques de Cassis.

Un petit coup de VHF en douce à EOLE et me voici en pleine pétole! Mon moteur ronronne 8 nautiques au large des calanques. Je les ai bien eu!! Ils voulaient faire de la voile, user ma robe haubannée dans les éléments déchaînés! Moi, je me marre, j'ai même quelques hoquets en croisant la baie de Cassis...

Le soir, arrivée au port de la Ciotat: BMS ++, on est là pour 3 jours.

C'est chouette pour tout le monde, enfin presque: la belle dame a de la ville à courir, des expos, des petits coins de jardin.          Mon maître papotte avec les voisins de ponton et moi, je me pose, tranquillement le flanc contre un voilier rutilant tout neuf et un Evasion 37 sûr de sa suprématie...

Bon, la nuit, c'est un peu chaud, on est au pied d'une boite de nuit qui donne au vieux port un air de CAP D'AGDE...

La Belle Dame adore: elle dort le jour et tourne en rond la nuit. On lui avait dit que c'était pas toujours marrant les ronds dans l'eau: les ronds dans la cabine avant, c'est pas mal aussi!

Au matin du 3ème jour, départ pour quelques secondes dans l'EST. J'ai le nez pointé vers Bandol... Un oeil sur le Cap Sicié qui se profile à l'horizon à demi noyé dans les nuages qui remontent du SUD EST.           Un jour, il faudra que mon skipper demande poliment aux autorités italiennes de reboucher le Golfe de Gênes... Moins d'eau à courir pour mes souliers "antifoullés" mais le prix ne serait pas cher payé si cela pouvait m'éviter l'horreur de sentir l'odeur d'un "cadeau fait à la mer" échappé par erreur de l'estomac de mon maître sur mon blanc manteau antidérapant! Et puis vous imaginez ledit maître, son regard salé etc,etc... à genoux sur le pont, vert, le menton sur les genoux devant la Belle Dame? Nooooon, je ne supporterais pas de le voir humilié, je l'aime beaucoup vous savez...

Arrivée aux EMBIEZ: le point le plus EST de notre petite virée à trois. L'Ile est sympa. Le vent d'Est amène des nuages; j'autorise mon maître et la Belle Dame à marcher dans l'Ile...

7ème jour: ce matin, je ressens aux fonds des coffres, s'écouler un ruisseau de tristesse... C'est le jour du retour vers l'OUEST. J'avais envie de passer le Cap Sicié. La météo et les employeurs de mes passagers l'interdisent.

On quitte le quai, un coup de vent colle mon petit ventre rebondi contre mes voisin et voisines de palier. Bang! Le moteur cale. Regard inquiet sur mon hélice...

Route vers l'EST; 7 parfois 8 noeuds au speedo. Ouaouh, ça balance! Mes 2 marins amarinés s'amusent comme des fous. Moi, j'en profite, mon génois seul offert au vent portant, la houle et la mer du vent confondues viennent me caresser les reins...

Une vague un peu forte, un coup de gîte imprévu, la nonchalance de mon marin préféré et vlan! L'annexe fixée sur les bossoirs s'emplit de 400 litres d'eau! Mon marin largue l'annexe; trop tard: je ressens une vive douleur à l'arrière; les bossoirs n'ont pas plié. C'est ma résine qui se fracture... L'annexe est à la traîne, la route se poursuit..

On arrive en rade de Marseille; une journée de mer pour parcourir ce qu'il nous avait fallu 3 jours à l'aller! Mon marin est content. Moi, je suis inquiète... J'ai mon bout de nez qui me chatouille, il y a quelque chose de pas normal...

A l'entrée du port du Frioul, mon maître enroule mon génois: rien ne se passe... Sac de noeud dans le tambour d'enrouleur. Il faut affaler. Le pont commence à ressembler au radeau de la Méduse! Rond dans l'eau dans le bassin du port. 1/2h à attendre que la capitainerie nous désigne une place..

J'ai un peu mal partout...

Le lendemain, mon marin s'équipe pour visiter mes dessous. La Belle Dame n'est pas jalouse, avec moi elle est plutôt partageuse...           Je me laisse faire... Tout va bien, pas de casse, ouf!

Dernier jour, on quitte le Frioul pour rejoindre mon port d'attache. Un petit peu de voile, un petit peu de moteur... et déjà une pointe de nostalgie...

A quand la prochaine ballade?